Lettre à une amie
Mon amie,
Tu m’écris quelques lignes pour me faire part de ton vécu actuel, au cœur de ce confinement qui dure maintenant depuis trois semaines. Tu m’expliques les montagnes russes émotionnelles qui sont ton quotidien et qui t’épuisent, déplorant que cela se passe ainsi.
Les montagnes russes sont inconfortables mais inéluctables. Elles sont le cadeau de cette retraite, même si cela ne semble pas très évident dans l’instant. J’entends ta voix murmurer encore « La souffrance est-elle nécessaire ? »
Non, elle ne l’est pas mais se rencontre à la hauteur des difficultés qui peuvent surgir à se laisser porter, même par ce qui est étiqueté « souffrance » par notre mental (en se rappelant que ce n’est pas l’étiquette qui fait mal mais l’histoire que je me raconte à son sujet).
L’expérience qu’offre ce confinement a démarré pour moi en juillet 2018, lorsque j’ai quitté un emploi salarié pour me mettre au service d’une certaine vision de ma vie. L’arrêt brutal de toute activité extérieure m’a alors plongée dans un décor très similaire au confinement actuel (1). J’avais de l’avance !!!
J’ai employé tout ce temps à vivre cette intériorisation, ce retour en moi, afin de tirer le meilleur parti possible de la situation. Il me fallait lui donner un sens. Il m’apparaissait même que ce décor était précisément là pour ça. Ne pas subir, chercher et trouver le cadeau. Et puis, j’étais déjà engagée sur ce chemin de transformation personnelle et il me semblait que c’était l’occasion inespérée d’approfondir ces mutations intérieures qui me permettraient de lever tous les obstacles à l’expression pleine et entière de la vie dont je rêvais.
J’ai vécu diverses choses, plus ou moins agréables, et je n’ai cessé de me demander à quel moment « le travail » serait terminé pour enfin passer à autre chose. Que de souffrance encore dans cette attente !
Et puis le mur est arrivé, environ une semaine avant la décision officielle qui nous a tous enfermés. Pas vraiment un mur, en réalité. Plutôt le sentiment que je ne voyais plus la suite du chemin. Tout à coup, l’image s’interrompait.
L’incompréhension absolue que je ressentais du fait que le déploiement de mon projet, que je pensais subordonné à ce « travail », ne se manifeste pas a fait surgir cette pensée : « Le travail » était soit terminé depuis longtemps, soit sans conséquences sur mes objectifs.
J’ai donc décidé, « en mon âme et conscience », que « le travail » était terminé. S’il devait se poursuivre, qu’on me montre dans quelle direction et sur quoi il devait porter. J’avais le sentiment d’avoir fait le tour.
La seule chose qu’il semblait me rester était la possibilité de relâcher tout effort, de m’abandonner à la vie et de me faire plaisir. Le confinement a été déclaré et cette résolution est devenue d’une pertinence vibrante.
J’ai alors compris que la réponse était là : « le travail » se poursuivait, dans la compréhension qu’il n’y en avait aucun. Vivre et rencontrer chaque instant ce que la vie exprime à travers moi est la seule voie qui met un terme à toutes les souffrances.
Renoncer ainsi à la lutte perpétuelle assise sur cette croyance tenace que les choses devraient être autrement ou seraient mieux autrement.
Mettre ainsi un terme à cette quête inaccessible puisque me mettant en mouvement pour atteindre un endroit que mon mental ne peut absolument pas imaginer. Comment savoir alors que j’y serais parvenu ? Et si j’y étais déjà sans le voir, trop occupée à imaginer un « ailleurs » différent et supposé meilleur ? Et si la Grâce était déjà là, dans l’expérience précise qui est la mienne, ici et maintenant ?
Le Divin est en nous, nous sommes le Divin, TOUT est le Divin. Parce qu’il n’y a que ça.
Quelle arrogance nous anime lorsque nous décidons que ce que nous vivons ne le serait pas assez ou nous en éloignerait !
Et même cette arrogance est un choix du Divin.
Cette Conscience infini qui nous anime et se déploie à travers nos personnages sait exactement de quelle manière elle a envie de s’expérimenter. Nous ne choisissons rien (en tant que personnage).
Alors mettre un genou à Terre et prononcer les seuls mots qui aient réellement du sens : que ta volonté soit faite ! La lutte s’éteint « naturellement » dès lors qu’il n’y a plus d’énergie pour la soutenir. Aucune décision à prendre, ça se fait, c’est tout.
Ma douce amie, pour revenir à ton interrogation du début, la souffrance n’est ni nécessaire, ni inutile : elle est. Elle fait partie des expériences que la vie nous offre et ne se représente que tant que nous pensons qu’elle n’est pas la bienvenue. Tant que nous pensons que ça devrait être autrement.
L’illusion consiste à croire que si nous lui ouvrons la porte, à elle comme à tous ces ressentis dits négatifs, elle s’installera et envahira, pour toujours, notre vie.
L’illusion consiste à croire que si nous lui ouvrons la porte, cela revient à donner un accord qui aurait le pouvoir d’alimenter l’expérience éternellement.
La subtilité de ce OUI, nécessaire à l’accueil, est qu’il s’exprime vis-à-vis de la Conscience et non vis-à-vis de la souffrance. En d’autres termes, je ne dis pas OUI à l’histoire qui fait surgir l’émotion (ce qui tendrait bien sûr à la maintenir encore et encore), je dis OUI à la Vie, dans la compréhension qu’il ne s’agit que d’une expérience à rencontrer.
Alors, la souffrance, conséquence de ma lutte, peut cesser.
© Laurence Villevieille – Avril 2020
(1) Lire Déambulations Intérieures