laurence villevieille auteure

- La Peur -

Le COVID-19 est sur toutes les lèvres et alimentent tant de conversations qu’il est difficile de faire l’impasse sur le sujet.

La décision de confinement annoncée par notre président, avant-hier soir, a marqué un tournant dans la manière de gérer cette situation et, selon les ressentis personnels, déclenche en nous des sensations différentes : Les lycéens et les collégiens sont plutôt très heureux de cette péripétie collective tandis que d’autres voient leurs peurs s’intensifier à l’annonce de ce pic épidémique impossible à contenir. Entre les deux, tout un panel d’expériences qui vont de la simple contrariété à un sentiment d’impuissance voire de panique vis-à-vis des changements qu’ils nous est demandé d’opérer dans notre quotidien.

Même pas peur !

Contre toute attente, ceux qui retiennent le plus mon attention sont ceux qui, de différentes façons, proclament haut et fort qu’ils n’ont pas peur.

 Parmi ceux qui affirment ne ressentir aucune crainte, il y a ceux qui ne parlent que leur météo intérieure et qui n’ont fait que répondre à une question posée. Une fois le constat établi, le sujet ne leur inspire pas davantage de commentaires.

Et puis, il y a ceux et celles qui clament, qui fanfaronnent, qui se moquent, qui ricanent, qui se haussent au-dessus de la masse effrayée, plein d’une arrogance qui permet de maintenir une distance suffisante entre eux et les autres. Une sorte de périmètre de sécurité…

Est-il exact qu’ils/elles n’aient pas peur ? Bien sûr que non. Ils n’ont juste pas peur de la même chose. Leur crainte à eux, c’est de ressembler à ceux qu’ils critiquent. C’est de se fondre dans cette masse soi-disant ignorante et manquant de discernement. Ils ne craignent pas d’être contaminés par le virus mais par ce qu’ils considèrent comme de la bêtise, de l’ignorance ou de la faiblesse.

Les pédagogues

laurence villevieille auteureEt puis, il y a ceux qui, expliquant que la peur contribuent à fragiliser notre système immunitaire (ce qui est vrai), attendent de cette démarche pédagogique qu’elle nous ramène à davantage de raison. Eux, ils savent. Ils savent ce que les autres ignorent. Enfin, c’est ce qu’ils croient.

Parce qu’en réalité, ils ignorent (ou ont oublié) une chose encore plus importante que le lien entre la peur et le système immunitaire : on ne combat pas la peur avec la raison, avec la logique, avec le savoir. Du moins pas en première intention.

Parce qu’on ne combat pas la peur.

Revenir à davantage de raison est une invitation récurrente, maintes fois rencontrée au cours de notre enfance : les adultes, confrontés à nos émois et imprégnés de leur propre éducation, nous y ont exhortés tant de fois qu’il nous semble logique, maintenant, de prolonger encore et encore cette invitation à reprendre le contrôle, faisant fi de ce qui nous agite intérieurement.

Lorsque cette proposition est faite, la peur n’est pas bien loin non plus.

Une autre peur encore : celle de se laisser déborder par ce qui se joue, dans nos théâtres intérieurs. Une autre sorte de contamination…

L'entraide

laurence villevieille auteure

Nous le voyons bien, nous sommes très différents dans nos ressentis, ou plutôt dans les causes de nos ressentis. Mais la peur reste une émotion commune à toutes et tous, quel que soit son moteur.

Comme toutes les émotions, elle nous informe sur un endroit en nous qui se sent menacé et il est différent selon les individus, leur histoire, leurs expériences, leurs mémoires transgénérationnelles ou karmiques. N’oublions pas – sur le plan sanitaire – la mémoire collective qui se superpose aux mémoires individuelles : nous sommes tous, à différents degrés, imprégnés pas la mémoire des nombreuses et dévastatrices épidémies que l’humanité a vécues. Impossible de s’y soustraire !

Alors, si au lieu de nous gausser ou de nous défendre de ce qui, à nos yeux, n’a pas de sens, nous nous donnions la possibilité de nous entraider VRAIMENT.

Si, en reconnaissant la peur de l’autre pour ce qu’elle est, à savoir une cousine plus ou moins lointaine de la nôtre, nous nous permettions de nous accueillir les uns les autres en commençant par nous-même. Si nous mettions nos « compétences » personnelles au service les uns des autres : je peux t’aider à accueillir ta peur du virus si elle ne résonne pas en moi, je peux contribuer à rencontrer ta peur de la différence si elle n’a pas fait son lit en moi, je peux t’accompagner dans la découverte de ta peur d’être débordée si elle ne reçoit aucun écho en moi.

Le changement

 

Il y a derrière ces différentes peurs, une peur commune, plus enfouie, plus diffuse, presque impalpable chez certain(e)s : la peur du changement. Comment allons-nous nous organiser dans notre quotidien pour faire face à ce « confinement » ? Que va dire mon patron ? Vais-je conserver mon emploi, mes revenus ? Que de peurs légitimes se réveillent…

Personne ne s’y trompe. En réalité, nous vivons – et cela n’a pas commencé avec le coronavirus – une période de profonde transformation individuelle et collective. Le contexte sanitaire actuel a et aura de nombreuses répercussions et nous proposent de multiples prises de conscience dans tout un tas de domaines de notre vie. En nous obligeant à tester d’autres façons de fonctionner, nous sommes invités à sentir comment nous pouvons prolonger et amplifier ces changements une fois la crise sanitaire jugulée.

Alors bien sûr, une fois l’expérience passée, on a tendance à oublier. On est tenté de revenir aux modèles bien connus et donc apparemment sécurisant.

laurence villevieille auteure

 

Oui, la tête peut tenter d’oublier. Mais pas notre corps, pas nos cellules. Des graines porteuses d’une autre façon de vivre ensemble sont en train d’être plantées et nous ne pourrons rien faire pour en empêcher la floraison, quelle qu’en soit l’échéance.

Cette écriture, un peu longue peut-être, n’a pas vocation à porter des jugements supplémentaires ni à me hisser au-dessus de cette humanité que je trouve passionnante. Elle n’est que le reflet de mes propres ressentis. Elle se propose juste de trouver un autre angle d’approche, de poser un regard différent, de rendre possible à un petit niveau le vrai élan de solidarité et d’unité qui se joue derrière tout ça. Une humble tentative d’éclairer la forêt qui se cache derrière l’arbre du COVID-19.

© Laurence Villevieille – 18 Mars 2020